sábado, 4 de octubre de 2014

La Villa Kujoyama, une belle endormie se réveille au Japon




On ne vient pas ici par hasard. Après avoir franchi un dernier tori (portail), commence en silence la montée des marches sur les pentes du mont Kujo. «On quitte la ville et, hop !, on bascule dans le monde de la colline, des esprits, de la nature et de la création», se souvient Corinne Atlan. L’écrivaine et traductrice garde en mémoire les moments «inspirants et précieux» passés en 2003 à la Villa Kujoyama, résidence française d’artistes sise aux portes de Kyoto. Après deux ans de fermeture, d’incertitudes sur son avenir et de travaux, elle rouvre samedi. La belle endormie fait peau neuve avec une direction franco-japonaise, 23 résidents pour les seize prochains mois (lire ci-contre) et l’ambition de sortir de son isolement.
Sur le mont Kujo, qui héberge des prêtres silencieux, de vives belettes, des singes agités dans la cime des cyprès et des bambous, la Villa occupe une place à part. A flanc de colline, le bâtiment en L de 1 164 m2 abrite sur deux étages six élégants studios pour les résidents, des espaces d’exposition et de répétition, une bibliothèque, une salle de projection, des jardins et une terrasse aérienne qui offre un point de vue panoramique sur Kyoto.
«C’est un endroit formidable pour l’écriture et la recherche, où l’on dispose d’une totale liberté, raconte Thomas B. Reverdy, qui y a écrit son roman les Evaporés en 2012. La Villa se trouve à l’écart de la ville et certains résidents s’en sont plaints. Il y règne une atmosphère mélancolique et calme et, dans le même temps, plein de choses s’y déroulent.»
Sauvé. L’auteur se remémore la «période particulière» de l’après-Fukushima, quand la Villa se préparait à fermer ses portes. «Le bâtiment était un peu à l’abandon, les jardins en friche, il y avait des fuites, on craignait que le chauffage tombe en panne.» En pleine disette financière, la France s’interrogeait sur le maintien de l’unique résidence française d’artistes en Asie. Les mécènes l’ont sauvé. «Sans eux, la Villa n’aurait pas redémarré, l’Institut français n’avait absolument plus les moyens», reconnaît Christian Merlhiot, qui codirige le lieu avec Sumiko Oé-Gottini. Parmi eux, Pierre Bergé, grand amoureux du Japon, qui voulait «redonner vie à la Villa». Il a déboursé quelque 500 000 euros pour les travaux d’isolation, de mise aux normes, de nettoyage et de dallage. Construit en 1991, ouvert un an plus tard, le bâtiment avait bougé, s’était fissuré. Le béton brut, cher à l’architecte de la Villa, Kunio Kato, s’était recouvert de moisissures noires. De son côté, la fondation Bettencourt-Schueller s’est engagée à financer à hauteur de 754 000 euros les programmes des résidents pendant trois ans. Elle en profite pour promouvoir l’ouverture aux métiers d’art dans une ville où ils tutoient l’excellence. Aux côtés des architectes, des photographes, des auteurs de bande dessinée, des designers, des musiciens, des artisans d’art seront donc accueillis à partir de cette année, comme la plumassière Nelly Saunier ou la doreuse sur bois Manuela Paul-Cavallier.
Pour cette renaissance, le duo de direction milite, non sans raison, pour une plus grande ouverture de la Villa. «Elle avait trop peu de lien avec Kyoto, le Kansai et les réseaux culturels japonais, note Merlhiot. Chaque artiste tissait son réseau dans son coin, puis il repartait et nous en restions là. C’est aussi pour cette raison que ce lieu a failli rester fermé.» La Villa va donc multiplier les échanges avec les institutions, organiser des expositions dans des musées, comme celui de Nagasaki - «insister sur notre ancrage japonais», complète Sumiko Oé-Gottini qui souhaite «accompagner les artistes en amont et aval». Un «Label Kujoyama» décerné à des œuvres créées pendant ou après un séjour à Kyoto pourrait voir le jour. Des partenariats (Festival d’automne, Parasophia) et des coproductions sont également dans les cartons.
«Idée claudélienne». Le signe le plus évident de cette ouverture est la plus grande place accordée aux Japonais. Le programme «Kujoyama en duo» permettra donc l’accueil d’un créateur français avec son binôme nippon. Ex-directeur de l’institut franco-japonais du Kansai et premier patron de la villa, Michel Wasserman applaudit des deux mains : «Ce n’est pas toujours simple à réaliser, mais cette idée claudélienne de rapprochement intellectuel entre les deux cultures est très bonne»,juge ce spécialiste de l’œuvre de Paul Claudel. En gardien du temple, Michel Wasserman rappelle que l’écrivain et ancien ambassadeur de la France au Japon est à l’origine de la Villa, avec le mécène Katsutaro Inabata.
Sur le terrain aujourd’hui occupé par la Villa, ils avaient édifié en 1927 l’Institut franco-japonais du Kansai, qui sera transféré en 1936 plus près des étudiants de l’université de Kyoto. Le site est laissé à l’abandon cinquante ans durant. En 1986, un acheteur se présente pour le terrain. Sous pression, la France lance le projet d’une résidence d’artistes avec, à nouveau, des fonds japonais. Et dit s’inspirer de la Villa Médicis à Rome. «La comparaison est extravagante, nuance Wasserman. Nous avons peu de moyens et peu d’espace. Surtout, la création de cet outil rare ne relevait pas d’une planification culturelle quelconque, mais répondait à une situation d’urgence.» La Villa a maintenant trois ans pour trouver sa vitesse de croisière.

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